Plus encore qu’à une crise des dettes publiques, c’est à une crise
politique que l’Europe fait aujourd’hui face. Explications
De quoi cette crise est-elle le nom ?
Au
plus fort de la crise de 2008-2009, les États ont injecté massivement
des liquidités dans l’économie afin de tenter de sauver ce qui pouvait
l’être. Ce faisant, ils ont laissé dériver leurs comptes publics. Aux
États-Unis, le déficit public tourne autour de 10 % du PIB, et la dette
atteint 100 % du PIB. En Europe, l’endettement des États membres dépasse
largement les critères de Maastricht 1,
la moyenne de la zone euro étant supérieure à 85 % du PIB – contre
66,3 % en 2007. Comme toutes les moyennes, ce taux masque de fortes
disparités. La dette publique représente près de 120 % du PIB en Italie
(qui vient de voir sa note dégradée) ou en Irlande… et 160 % en Grèce.
Cumulée
à une croissance en berne, cette situation entraîne la spirale de
l’endettement que connaissent aujourd’hui les pays les plus exposés de
la zone euro. Sans croissance, l’emploi stagne, le chômage augmente, les
entreprises renoncent à investir ; résultat : les dépenses augmentent,
les recettes diminuent, aggravant à leur tour les déficits publics et
creusant davantage encore la dette. Ce cercle vicieux conduit les
marchés financiers à douter de la capacité de remboursement des États.
Ce faisant, ils accroissent, par leurs jeux spéculatifs, le coût de la
dette, imposent des plans d’austérité qui tuent dans l’œuf toute
perspective de reprise, faisant planer le spectre d’une panne globale de
l’économie.
Quels sont les risques pour la zone euro ?
L’Europe
semble retenir son souffle, les yeux rivés sur la Grèce. Et pour
cause : l’annonce, début septembre, que la dette y était désormais « hors de contrôle »,
les mesures d’austérité prises pour réduire l’endettement ayant
littéralement étranglé l’économie, rend de plus en plus plausible un
défaut de remboursement du pays. Or dans une zone euro où les économies
– et donc les dettes – font système, la défaillance d’un État à l’égard
de ses créanciers (banques, investisseurs institutionnels, autres États à
travers leurs fonds souverains) ne serait pas sans conséquences. D’une
part pour ses créanciers eux-mêmes, puisque cela équivaudrait à une
perte nette d’actifs ; d’autre part pour les autres États de la zone
euro, en raison d’un risque de contagion, en particulier aux pays du
Sud, les plus menacés. À terme, un éclatement de la zone euro ne serait
plus à exclure. Une situation qui serait catastrophique pour l’ensemble
de ses États membres. « L’abandon de la Grèce à son sort serait économiquement et socialement désastreux pour l’ensemble des pays de la zone euro », estime le secrétaire général adjoint de la CFDT, Marcel Grignard.
Pourquoi les banques sont-elles concernées ?
On
observe actuellement un transfert du risque souverain aux banques
privées qui détiennent de la dette publique. Les marchés financiers
anticipent un défaut de paiement de la Grèce, qui dévaloriserait le
ratio fonds propres-crédits des banques les plus exposées parce qu’elles
détiennent le plus de titres de dette publique.
Avec,
à la clé, le retour du risque systémique, comme au lendemain de la
faillite de Lehman Brothers. Les bilans des banques sont jugés non
stables, les banques ne se font plus confiance, le crédit interbancaire
s’arrête. Parallèlement, les investisseurs craignant la répétition du
scénario de 2008, ils entraînent le marché dans une spirale baissière
qui dévalorise de fait les actifs bancaires.
Dans une telle situation, « seules les banques centrales peuvent agir, explique le secrétaire confédéral Emmanuel Mermet : elles
sont les prêteurs en dernier ressort, la dernière bouée de sauvetage
des banques à cours de liquidités quand elles n’échangent plus entre
elles. C’est ce que l’on vient d’observer le 15 septembre dernier quand
les banques centrales de la zone euro, des États-Unis, du Royaume-Uni,
de Suisse et du Japon ont décidé de prêter des dollars aux banques
européennes de manière conjointe ».
Existe-t-il des solutions à cette crise ?
« Les
décisions pour mettre fin à la crise des dettes publiques seront
difficiles et coûteuses », prévient Marcel Grignard. La seule certitude,
à l’heure actuelle, est que l’Europe ne peut pas ne pas agir : « Le
sauvetage de la Grèce coûtera, mais toujours moins qu’un éclatement de
la zone euro. » La principale piste pour éviter ce scénario noir
consiste à mutualiser une partie des dettes – avec les
fameuxeurobonds (obligations communes des États de la zone euro). Cela
aurait l’avantage de mettre un coup d’arrêt à la spéculation sur le
risque de défaut de ces dettes et de rendre moins coûteux le coût du
crédit pour les États les plus endettés – qui bénéficieraient alors
de la crédibilité des pays les plus vertueux. Une option suggérée dès la
fin de l’année 2010 par le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude
Juncker, et de plus en plus largement partagée.
Quelles sont les conditions d’une sortie de crise ?
Cette
solution n’est pas sans contreparties. Cela suppose que, parallèlement à
la mutualisation d’une partie de leur dette, les États s’astreignent à
une stricte discipline commune sur le plan budgétaire pour contenir puis
résorber leur endettement. Or le laxisme pratiqué depuis des années à
l’égard des critères de Maastricht a montré que la seule bonne volonté
ne suffisait pas. Mutualiser les dettes exige donc d’« engager une convergence budgétaire et économique »
qui requiert comme préalable un nouveau transfert de souveraineté. Dans
un climat d’euroscepticisme latent, défendre une telle solution exige
un courage politique que la proximité d’échéances électorales en France
en 2012 et en Allemagne en 2013 ne favorise pas.
Pour l’heure, les options prises ont toutes été « tardives, partielles et a minima »,
regrette Marcel Grignard. Dernier exemple en date : la réunion des
ministres des Finances de la zone euro, à Wroclaw, les 17 et
18 septembre. En dépit de l’exhortation des États-Unis à trouver un
accord sur la gestion de la crise, ils ont décidé… de ne rien décider,
en repoussant à la mi-octobre la mise en œuvre du deuxième plan de
sauvetage de la Grèce, annoncé le 21 juillet. Au risque d’aggraver la
crise.
Que peut faire le syndicalisme dans la période ?
Quelle
que soit l’issue des tergiversations des dirigeants européens, se
contenter de résorber les dettes publiques ferait courir le risque d’une
panne globale de l’économie. « La maîtrise des déficits doit se
conjuguer avec une politique de relance à travers des investissements
européens d’avenir et un accroissement du socle social, plaide le
secrétaire général adjoint de la CFDT. La solidarité européenne doit
également se traduire sur le plan social. » Parallèlement, « l’enjeu est de faire en sorte que les efforts soient équitablement répartis et n’obèrent pas les perspectives d’avenir. »
C’était le message de l’euromanifestation organisée à l’appel de la
Confédération européenne des syndicats. C’est celui que continuera de
porter la CFDT.
Aurélie Seigne
(1) Un déficit limité à 3 % du PIB et une dette ne dépassant pas 60 % du PIB. L’Europe au tournant de la crise